Actualités

Entretien avec Elisabeth St-Gelais

8 Mai 2025

Depuis qu’elle a été nommée Révélation Radio-Canada en 2023-2024, la soprano innue Elisabeth St-Gelais met son art au service de la rencontre et du dialogue.

On peut l’entendre dans les nouvelles capsules de La Route des concerts, qui mettent nos diffuseurs en lumière. Entretien avec une artiste dont la voix, sur scène comme en dehors, porte loin.

Crédits photo: Lucky Tang, Ludovic Rolland-Marcotte

Pour plusieurs raisons, la première étant que la représentation des Premières Nations, Métis et Inuit du Canada, tout particulièrement dans le milieu de la musique classique, est au cœur de ma mission d’artiste. Pour moi, il n’y a rien comme aller à la rencontre du public dans le contexte de grande proximité qu’offrent les plus petites salles. Je peux y serrer la main des gens, échanger quelques mots avec eux après le concert. C’est comme ça qu’ils apprennent à me connaître et qu’ils voient des artistes autochtones œuvrer dans des disciplines comme la mienne, où on ne les attendait pas nécessairement ! Ma deuxième raison, c’était de contribuer à l’effort de démocratisation de la musique classique à travers le soutien aux petits diffuseurs. Ils facilitent l’accès à la musique classique dans des lieux chaleureux, accueillants, en faisant connaître de nouveaux artistes, ce qui attire de nouveaux publics. On croit trop souvent, à tort, que la musique classique est seulement ancrée dans la tradition et réunit des personnes qui se ressemblent toutes, mais sur le terrain, on constate vite qu’elle est innovante, contemporaine et remplie d’artistes avec des expériences et des approches très variées. Bref, il y en a pour tous les goûts et ça vaut vraiment la peine que cette diversité soit comprise et qu’on continue de la faire voir, de la faire connaître !

En fait, j’ai eu deux lancements (rires) : l’un à Montréal, qui était évidemment très important puisque c’est là que ma carrière se développe, et l’autre au Saguenay, qui l’était encore plus à mes yeux. C’était primordial pour moi de retourner à la maison, où les gens auprès de qui j’ai grandi savent que si j’ai eu du succès, c’est parce que je suis restée fidèle à qui je suis. Parfois, les jeunes qui connaissent tôt le succès sentent qu’ils doivent changer la perception qu’ils donnent d’eux-mêmes ; c’est un défi de rester accroché à ce qui est vrai en soi, comme artiste et comme humain. Faire un lancement au Saguenay avec les miens, mes collègues, mes amis, ma famille, c’était donc une façon de rester en contact avec ce que j’ai de vrai et de spécial, moi : mes racines autochtones, bien sûr, mais aussi saguenéennes. Je suis quelqu’un qui croit très fort à l’éducation, au perfectionnement, au voyage, au fait de toujours chercher à s’élever encore plus, mais aussi à l’idée qu’il faut toujours préserver cette autoroute directe avec le cœur qui part de chez soi.  

Ce sont en effet mes choix, soutenus par l’équipe d’ATMA ainsi que par ma coach vocale, Louise Pelletier, qui m’accompagne au piano sur l’album et dans toute ma carrière. Nous avons opté pour la mélodie française parce que le français est ma langue maternelle et que nous voulions que ce premier album soit le plus proche de moi possible. C’est d’ailleurs pourquoi on y retrouve certaines pièces très personnelles, que je chante depuis des années et qui ont évolué avec moi. D’autres sont plus récentes et d’autres encore sont des bijoux moins connus que Louise et moi avons trouvés en fouillant, comme Si vous n’avez rien à me dire, de Camille Saint-Saëns, qui n’avait que rarement été enregistrée. Je pense aussi aux deux pièces de Chaminade, qu’on entend très peu, incluant la pièce-titre Infini. Je suis tellement contente de les avoir endisquées aux côtés de grands classiques ! J’aime tous nos choix pour des raisons qui leur sont propres, pour leur diversité et, très humblement, parce qu’ils mettent ma voix en valeur.

Quant à la matérialité de l’album, nous avons voulu emboîter le pas des artistes issus des Premières Nations, Métis et Inuit qui sont actuellement en pleine effervescence et qui prennent possession du numérique, de la mode, du design. Ils sont très éclectiques et avant-gardistes, et j’aspire à faire partie de ce mouvement-là moi aussi ! Le vinyle, lui, est un format qui revient à la mode auprès des artistes de ma génération, mais moins en classique, et j’avais envie de faire un choix qui s’inscrive dans ce courant-là également. D’ailleurs, l’équipe d’ATMA a eu l’idée de confier le design de la pochette à une artiste visuelle anishinaabe que j’adore, Caroline Monnet. Je suis en amour avec son style si clairement autochtone, tellement au goût du jour, soigné, précis, toujours dans le bon angle… Elle s’est inspirée pour son illustration d’un coucher de soleil, un thème qui m’est très cher. Vraiment, je n’aurais pas pu être plus heureuse de cette collaboration !

J’ai envie de dire que le premier facteur déterminant, ce sont les artistes. Ils participent de manière très importante au bien-être collectif et on a peut-être trop souvent tendance à les tenir pour acquis. Je pense qu’il faut être à l’écoute de leurs besoins, notamment en termes de diversité pour les artistes issus de minorités, les femmes, les artistes des communautés LGBTQ+ et des Premières Nations… Parce que c’est en leur donnant des ressources pour s’épanouir qu’ils pourront accomplir leur travail. Au CQM, dont je suis la vice-présidente du conseil d’administration, nous offrons un espace sécurisé (safe space) où ils peuvent venir chercher de l’aide, de la formation. Nous faisons aussi le pont entre le gouvernement et les organismes de financement. L’annonce récente de la hausse du financement du CALQ sur 3 ans a été une petite victoire pour nous et pour tous les regroupements qui veillent à ce qu’on prenne soin de nos artistes en faisant des états généraux sur la culture au Québec, en recueillant des renseignements, en proposant des budgets, etc. C’est certain que ça revient un peu à faire de la politique, mais il en faut, des artistes impliqués, et moi, je suis très contente de le faire. Je pense que le rôle de l’artiste est de tendre un miroir à la société et de dénoncer, non pas au sens violent ou revendicateur du terme, mais au sens d’énoncer ‒ dans la douceur ‒ des faits, des vérités. Moi, évidemment, je porte la cause des Premières Nations, Métis et Inuit du Canada, mais des vérités, il y en a partout à montrer et les arts sont là pour nous en faire prendre conscience.

Mais bien sûr ! Il y a des chanteuses que j’adore au Canada, comme la mezzo-soprano Marion Newman, de la Colombie-Britannique, et Melody Courage, une soprano de Toronto à la voix splendide que j’aimerais beaucoup rencontrer car nos répertoires se ressemblent. Deantha Edmunds est une autre soprano qui a fait notre fierté en gagnant un JUNO cette année. C’est une Inuk de Terre-Neuve-et-Labrador avec qui j’ai eu la chance de collaborer : elle est pleine de fougue et chante ses lignes avec une telle profondeur ! L’enregistrement qui lui a valu son JUNO est très touchant. Il y a aussi le compositeur d’origine métisse Ian Cusson qui a le vent dans les voiles en ce moment, il écrit partout, il est très en demande. J’ai une super belle relation avec lui et je chante souvent de ses pièces dans mes récitals. Pour terminer, je veux nommer la poétesse innue Natasha Kanapé Fontaine, qui écrit pour moi des textes qu’Ian met en musique. Elle a un talent incroyable. Vous aurez d’ailleurs l’occasion d’entendre le fruit de ces collaborations lors de mes passages à venir sur La Route des concerts !

Bonne nouvelle : le prochain spectacle d’Elisabeth sur La Route des concerts aura lieu au Théâtre de Lac-Brome le samedi 25 octobre. En attendant, on pourra patienter en partant à la découverte de son magnifique premier album, Infini, dont on peut d’ailleurs parcourir le livret. Parmi tous ses autres concerts de l’automne, Elisabeth se produira aussi avec les Violons du Roy les 9 et 10 octobre.